Je suis né dans la capitale coréenne il y a 24 ans de cela. Je sais que je n'ai pas tous les malheurs du monde, mais je ne peux nier que ma vie n'est pas non plus toute rose. Je n'ai jamais connu ma mère, décédée en me donnant naissance, me laissant un lourd sentiment de culpabilité sur les épaules qui me ronge encore aujourd'hui. Quant à mon père, il n'a jamais supporté le décès de sa chère épouse, et ne m'a donc jamais accepté dans sa vie. Il ne m'a pas abandonné non plus, il faisait le strict minimum pour moi -me nourrir, me laisser à la voisine quand il allait travailler, m'acheter un minimum de vêtements etc.-, mais il ne m'adressait quasiment jamais la parole. Quand je pleurais ou que j'étais triste, il ne cherchait jamais à me consoler. Même si j'avais peur du noir, il éteignait toujours la lumière de ma chambre car l'électricité coûtait cher, et fermait ma porte pour ne pas entendre mes pleurs. Bien sûr je ne me souviens pas de tout cela en détail car j'étais trop petit, mais j'ai des bribes de souvenirs qui remontent de temps à autre. Je me sentais plus proche de la voisine qui était un peu ma figure maternelle que de mon propre père.
Mon père s'est donné la mort lorsque j'avais 7 ans. Il n'avait jamais remonté la pente depuis le décès de sa femme et ma naissance, il n'avait jamais voulu rencontrer une autre femme, et tout récemment l'entreprise dans laquelle il travaillait avait fait faillite. Il a fini par renoncer à la vie, me laissant derrière lui sans aucun remord. Aucune lettre, aucune trace de lui que je pourrais conserver. Par contre, l'image de mon père pendu dans le salon, que j'ai découvert en rentrant de l'école -car il m'avait quand même inscrit à l'école- je m'en souviens très nettement. Et j'aurais préféré ne jamais voir ce spectacle.
La voisine de mon père, qui refusait de me voir finir dans un foyer, a fait le nécessaire pour m'adopter. Elle vivait seule, son fils était déjà étudiant et vivait seul dans le campus de son université. Son mari était décédé depuis plusieurs années, et ma présence était visiblement son petit moment de réconfort. Elle m'a donc adopté peu après l'enterrement de mon père, et j'ai commencé à avoir une vie un peu plus décente. A l'école, ce n'était pas trop ça. J'étais le petit faiblard que tout le monde martyrisait et dont tout le monde se moquait. J'avais une constitution fragile, pas de parents, j'étais toujours tout seul à dessiner avec un bâton dans la terre, j'étais donc le bouc émissaire idéal. Mais je le cachais à ma mère adoptive, elle faisait déjà tant pour moi, je ne voulais pas lui causer du souci supplémentaire.
Elle s'en rendit compte cependant quand je suis rentré avec des hématomes sur les bras et les épaules. J'avais beau avoir mis un gros pull pour masquer le tout, elle voyait que je n'étais pas dans mon état normal, que j'avais des difficulté à bouger mes bras, et elle avait vérifié. Horrifiée, elle avait obtenu un entretien avec le directeur et m'avait changé d'école peu après.
Le collège s'est un peu mieux passé, mais je n'avais aucune confiance en moi, je traînais un lourd passé derrière moi et restais assez solitaire. Mais au moins on ne me martyrisa pas. Les gens avaient compris que je voulais rester tout seul alors ils me fichaient la paix.
Le même scénario s'était poursuivi au lycée, mais je m'étais plongé corps et âme dans le dessin. J'adorais dessiner, je me défoulais à travers mes dessins et m'enfermais dans mes mondes imaginaires, où la vie était meilleure.
A la fin de mon lycée, j'ai rencontré une fille. Elle me connaissait, moi non. Je ne sais pas comment elle me connaissait, peut-être m'avait-elle souvent vu traîner dans le café près de mon lycée à dessiner des heures durant, ou dans un parc, pratiquant la même activité sans relâche.
J'ai commencé à la fréquenter, avant d'en tomber amoureux. Et alors que j'avais un peu remonté la pente, elle me fit sombrer dans quelque chose que je n'aurais jamais pensé toucher. L'alcool, la drogue et la cigarette. J'ai fait une rapide descente aux enfers, elle m'a appris la vie de ce genre de personnes, je ne rentrais quasiment plus chez moi, je ne dessinais plus, j'avais également arrêté l'université et avais trouvé un boulot miteux de serveur dans un bar pour payer mes clopes et mes doses. Mais j'avais l'illusion d'aller bien, car je ne ressentais plus la douleur d'avoir provoqué la mort de mes deux parents, ni celle d'être un fardeau pour ma mère adoptive. J'allais bien. Enfin, c'était ce que je croyais.
J'avais 22 ans lorsqu'elle est décédée dans un accident de voiture. Elle aurait aussi pu mourir d'overdose, mais ce fut un autre qui prit sa vie, un espèce de connard bourré qui avait osé prendre le volant avec de l'alcool dans le sang. Même moi je ne l'avais jamais fait.
J'ai fait une chose que je n'aurais jamais pensé faire : j'ai vengé mon ex-copine en prenant la vie de son meurtrier. En en devenant un moi-même. Et j'étais au plus bas de mon existence. Effondré. Je ne me reconnaissais plus.
J'ai fini par tenter le retour dans le droit chemin. Je suis d'abord rentré chez moi, imploré le pardon de ma mère. Je lui ai fait part de mes peurs, mes doutes, que je ne savais plus où j'en étais, qui j'étais, pourquoi j'étais comme ça. Au lieu de me rejeter comme n'importe qui l'aurait fait, elle m'a soutenue. Elle m'a aidée à me sortir du cercle vicieux de la drogue et tout ça, m'a fait arrêter tout ce qui touchait à la cigarette et l'alcool, m'a aidé à me remettre au dessin, a pris énormément de son temps pour moi. Elle m'a fait aller mieux. Physiquement, j'avais repris des couleurs, et je semblais plus vivant. Mais au fond de moi j'étais détruit, et je le cachais très bien pour ne pas la rendre malheureuse. Ma vie était une succession d'échec et je bloquais sur ça. J'en devenais fou. Je voulais quitter ce monde affreux.
Et un soir, alors que j'avais eu un accès de colère, j'ai donné un coup de poing dans mon miroir, ma main était en sang. Et subitement, j'ai été aspiré je ne sais où.
Cela fait maintenant deux bonnes années que je vis à Eliora le monde magique. J'ai eu le souhait que j'avais demandé, changer de monde. Je n'ai jamais pu dire au revoir à ma bienfaitrice. J'ai erré un moment, cherchant à comprendre le fonctionnement et les secrets de ce monde. J'avais du mal à y croire au début. Et maintenant, je suis au service d'un prince en tant que garde-du-corps. Ce même prince qui m'a trouvé à moitié mort sur un sentier, après m'être battu avec une bête sauvage. Je lui dois la vie. C'est mon maître mais également un ami. Je lui dois tout.
Et maintenant, je suis en quête de pouvoir. Qui de la reine Rubis ou la sorcière Blanche saura me donner ce que je cherche ? Je ne le sais pas encore. Moi-même je suis encore dans le brouillard.
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♚ Premier pouvoir : aucun
♚ Deuxième pouvoir : aucun
♚ Troisième pouvoir : aucun
♚ Dernier pouvoir : aucun